L’élan de solidarité suscité par les séismes du 6 février, entre la Turquie et des pays comme la Grèce, l’Arménie, l’Égypte, les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et Israël, n’est pas sans rappeler ce que le journaliste Stephen Kinzer, du Washington Post, avait appelé la “diplomatie des séismes” pour qualifier le rapprochement entre Ankara et Athènes à la suite des tremblements de terres meurtriers survenus successivement dans les deux pays, en été 1999, à une époque où les tensions étaient déjà à leur paroxysme.

Quand les séismes dévastateurs de Golcuk et d’Athènes ont successivement frappé les deux pays voisins en été 1999, le torchon brûlait depuis longtemps déjà entre la Turquie et la Grèce. Depuis la libération des terres anatoliennes de l’occupant grec en 1922, jusqu’à la crise d’Imia (Kardak krizi) survenue entre 1995, en passant par la guerre de Chypre en 1974, la Turquie et la Grèce ont eu de nombreuses occasions d’arriver au bord du conflit.

La crise d’Imia avait non seulement relancé le débat sur les frontières maritimes mais aussi ravivé l’inimitié historique entre les deux pays.

Or, le séisme de Golcuk survenu le 17 août 1999 qui a ravagé une grande partie d’İstanbul et causé plus de 17.000 victimes, avait soudainement suscité un élan de solidarité sans précédent et apaisé les tensions entre les deux voisins. Athènes avait immédiatement dépêché des équipes de sauvetage et 3 avions de secours, le journal grec Elefteropitiya titrait sa Une en turc “Dayan komşu !” (Tenez-bon voisins !) auquel les journaux turcs répondaient en grec lorsque trois semaines plus tard un séisme meurtrier frappait Athènes, qui bénéficiait à son tour de la solidarité de l’État et du peuple turcs.

Ce sont une nouvelle fois les sentiments de compassion et d’empathie qui ont permis de rasséréner les relations entre la Turquie et plusieurs pays, dans une conjoncture où les tensions étaient portées au pinacle. Si cette nouvelle donne ne signifie pas pour autant que les désaccords sont surmontés, elle suscite néanmoins de nouveaux espoirs, de part et d’autre, quant à la normalisation des relations par la voie du dialogue.

Grèce

Avant les séismes, les relations entre Ankara et Athènes étaient extrêmement tendues en raison des déploiements militaires successifs par la Grèce, sur des îles voisines de la Turquie, dont les statuts de non-militarisation avaient pourtant été réglementés par les Traités de Lausanne et Paris en 1923 et 1947.

La question de la non-militarisation des îles est d’autant plus primordiale qu’elle est non seulement un butin historique issu des Traités de Lausanne et Paris pour la Turquie, mais lui ouvre également la voie pour l’exploration d’hydrocarbures en Méditerranée orientale tout en évitant d’éventuels risques d’accrochages militaires entre les deux pays.

Les découvertes de champs gaziers, au cours de la dernière décennie, ayant changé la donne énergétique en Méditerranée ont accéléré les tentatives d’appropriation des espaces maritimes.

L’accord militaire et maritime conclu en novembre 2019 et le mémorandum d’entente, signé en automne 2022 entre la Turquie et la Libye, autorisent la Turquie non seulement à étendre ses frontières maritimes, mais également à revendiquer ses droits sur des zones en Méditerranée riches en hydrocarbures.

Fin septembre 2022, le déploiement de véhicules blindés, sur les îles de Samos -à 1,3 km de la Turquie – et de Lesbos, à 15 km des côtes turques, était la dernière goutte qui était en passe de faire déborder le vase.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan avait sans équivoque mis en garde que la Turquie « n’hésitera pas à défendre ses droits et ses intérêts en utilisant tous les moyens à sa disposition » et que l’armée turque pouvait “soudainement débarquer” sur les îles au cœur du différend.

Le MAE grec Nikos Dendias en visite dans la province de Hatay avec son homologue turc Mevlut Cavusoglu
(Others)

C’est dans une conjoncture aussi tendue que l’aide humanitaire grecque et les messages pacifistes du ministre grec des Affaires étrangères Nikos Dendias en visite dans les zones sinistrées par les séismes mais aussi ceux du président grec Mitsotakis, ont permis une désescalade cruciale entre les deux pays qui sont convenus qu’il était toujours possible de surmonter les différends par la voie du dialogue.

Arménie

Depuis la guerre du Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui s’est soldée par une victoire décisive de ce dernier, notamment grâce au soutien militaire turc, les relations entre la Turquie et l’Arménie étaient également assez tendues.

Ne digérant pas la défaite face aux forces azerbaïdjanaises, l’Arménie continuait de multiplier les provocations dans la région du Karabakh et tentait de faire sanctionner la Turquie et l’Azerbaïdjan sur la scène internationale.

Or, le 11 février dernier, pour la première fois après 35 ans de fermeture, le poste frontière d’Alican avec l’Arménie, avait rouvert pour l’acheminement des aides humanitaires vers les zones touchées par les tremblements de terre, et cinq camions d’aides arméniennes étaient entrés sur le territoire turc.

Par la suite, l’envoi d’une équipe de sauvetage arménienne, la visite du ministre arménien des Affaires étrangères Ararat Mirzoyan dans la zone des séismes en compagnie de son homologue turc Mevlut Cavusoglu, les messages de paix et la réaffirmation d’une volonté de surmonter les différends ont atténué les tensions et une nouvelle fois ouvert la voie de la diplomatie.

Le MAE arménien Ararat Mirzoyan en conférence de presse avec son homologue turc Mevlut Cavusoglu
(Others)

La précédente ouverture du poste frontière d’Alican remonte à 1988, encore une fois pour des raisons humanitaires, notamment l’acheminement de camions d’aides turques vers l’Arménie, qui avait été frappée par un violent tremblement de terre.

Suède

Le non-respect des engagements quant à la lutte contre le terrorisme et l’autodafé d’un exemplaire du Coran à Stockholm, malgré les avertissements répétés d’Ankara, avait presque fini de consumer les espoirs d’une solution diplomatique concernant l’adhésion de la Suède à l’Otan.

La réunion trilatérale entre la Turquie, la Suède et la Finlande qui devait se tenir début février avait été annulée et reportée jusqu’à nouvel ordre après ces dernières provocations.

Après les séismes, le ministre suédois des Affaires étrangères, Tobias Billström, avait partagé des messages de soutien et de solidarité avec la Turquie et envoyé une aide d’une valeur de 3.558.000 dollars, en plus des équipes de recherche et de sauvetage.

Lors de sa visite dans les zones sinistrées en Turquie, le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg avait demandé à Ankara d’accélérer les négociations quant à l’adhésion des deux pays nordiques à l’alliance. C’est par cette occasion que la Turquie a annoncé la reprise des négociations dans une nouvelle réunion trilatérale le 9 mars à Bruxelles.

Le ministre suédois des Affaires étrangères, Tobias Billstrom
(Others)

Néanmoins, la désescalade des tensions après les séismes ne signifie pas pour autant que le tour est joué pour la Suède. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, avait clairement averti qu’”il n’était pas question d’approuver l’adhésion de la Suède à l’Otan sans constater de réelles avancées quant aux engagements pris par cette dernière”.

Moyen-Orient

Si la balance des relations entre la Turquie et plusieurs pays du Moyen-Orient comme l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte ou Israël penchaient déjà vers le dialogue, les séismes ont accéléré ce processus.

Les visites mutuelles du président turc Recep Tayyip Erdogan, du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane et du prince héritier d’Abu Dhabi Mohammed ben Zayed tout au long de l’année 2022, la rencontre du président turc avec le président égyptien Sisi à l’occasion de la coupe du monde au Qatar, la nomination réciproque d’ambassadeurs entre la Turquie et Israël après plusieurs années de rupture diplomatique, avait déjà envoyé des signaux forts d’une volonté de renouer le dialogue dans la région.

Après les séismes, l’envoi d’aides humanitaires, d’équipes de sauvetage, la récolte de fonds par ces différents pays, la visite du ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukri dans les zones sinistrées, puis la dernière visite du ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu en Egypte après 11 ans de rupture diplomatique, ont davantage consolider les espoirs d’une normalisation des relations.

Le MAE turc Mevlut Cavusoglu en visite au Caire accompagné de son homologue égyptien Sameh Choukri
(Others)

Cavusoglu a déclaré lors de sa visite au Caire “être heureux de pouvoir faire un pas vers la normalisation”, avant d’annoncer une rencontre entre les présidents Erdogan et Sissi probablement après les élections présidentielle et législatives en Turquie.

Il a en outre souligné que “l’Egypte est un pays important autant pour le monde arabe que la Méditerranée orientale et l’Afrique”.

La normalisation des relations est cruciale dans la région pour parvenir à une entente autour de sujets géopolitiques brûlants comme l’exploration d’hydrocarbures en Méditerranée orientale ou la Libye, qui ont opposé plusieurs fois les deux pays par le passé.

TRT Francais