Le monde croyait en avoir fini. Après la terrible crise financière des subprimes qui a vu, en 2008, des mastodontes bancaires occidentales s’effondrer comme des dominos, les autorités américaines, européennes et japonaises avaient mis sur place des plans d’actions pour éviter que le “credit crunch” ne se reproduise. La recapitalisation des banques, l’augmentation des facilités de refinancement des banques centrales et les garanties publiques aux crédits interbancaires sont autant de garde-fous contre de tels scénarios.

Comment peut-on comprendre alors la faillite de Silicon Valley Bank? Quelles sont les risques d’une panique bancaire à l’américaine? TRT Français a interrogé Yamina Tadjeddine Fourneyron, professeure d’économie à l’Université de Lorraine.

Pourquoi Silicon Valley Bank a-t-elle fait faillite?

La faillite a été provoquée par la conjonction de deux phénomènes. Le premier est sectoriel: la SVB était très impliquée dans le financement du secteur des nouvelles technologies. Ces dernières années, ce secteur avait bénéficié d’un climat très favorable pour se financer or, depuis un an et demi, les crypto actifs connaissent une forte instabilité.

Le second phénomène est celui de l’augmentation des taux d’intérêt dû à l’inflation décidée par les banques centrales. L’effet de cette augmentation a conduit à ce que le coût du crédit pour les entreprises soit plus élevé et donc à une baisse de l’activité de prêts. Les entreprises n’arrivent plus à se financer et puisent dans les dépôts qu’elles ont accumulés préalablement. SVB a donc vu énormément de clients retirer petit à petit leurs dépôts.

On se retrouve en tension parce qu’on a moins de ressources financières d’un côté, puisqu’on a moins de dépôts, et en même temps la banque a vendu des titres à perte pour espérer rassurer les clients. Résultat, on se retrouve dans une situation de liquidité, c’est-à-dire que quand les gens vont vouloir retirer de leurs dépôts des dollars, la banque ne les a pas.

Comment rassurer les déposants ?

Les mesures ont été prises en plusieurs temps. Dans le cas de liquidité, la première chose c’est de rassurer le plus possible les déposants. La Société fédérale d’assurance des dépôts (FDIC) a activé vendredi l’assurance dépôt et a rassuré les clients en disant « vous n’avez pas besoin de retirer votre argent, essayez de vous détendre. Cet argent, on vous le garantit ».

Et puis vous avez une seconde décision qui a été prise lundi soir par la Banque centrale américaine qui a dit que la Fed achète les obligations d’État au prix que les clients ont acheté.

Existe-t-il un risque pour le reste du monde ?

L’effet de contagion, je n’y crois pas trop. La « ruée bancaire », c’est-à-dire les gens qui retirent leur argent, est essentiellement liée au secteur des nouvelles technologies. Au fond, si on prend les autres banques, elles ne sont pas nécessairement exposées au risque parce qu’elles n’ont pas le même type d’activité.

Par contre, il y a un contexte plus difficile pour les activités bancaires et financières. L’augmentation des taux d’intérêt décidée par la banque centrale est une décision qui est partagée sur un plus large territoire. Bien que les banques, notamment européennes, russes, africaines, asiatiques, sont moins exposées que SBV à la technologie, le contexte économique qui est moins propice, qu’on ait un argent plus coûteux, est partagé par tous.

La crise ressemble-t-elle à celle de 2008 ?

Vous avez un contexte différent. D’une part, la réglementation a quand même évolué, ce qui fait qu’il y a une surveillance beaucoup plus forte des banques qui conduit à ce que, théoriquement, elles ont des fonds propres et ont suffisamment de liquidités pour pallier ce type de situation. Je pense aussi qu’il y a eu un certain nombre d’apprentissages de la crise de 2008 et qu’au fond on a une maîtrise un peu plus forte de l’exposition aux risques financiers.

La faillite était-elle prévisible ?

Si on regarde le bilan 2022 de Silicon Valley Bank, ce n’est pas en soi un bilan d’une banque qui irait vers la faillite. Mais il y a deux choses : les difficultés rencontrées par le secteur des nouvelles technologies est quelque chose qui est prévisible en soi parce qu’on y est confronté, on savait qu’à un moment ça exploserait. Depuis 2021, on voit qu’il y a de l’instabilité. D’une certaine façon, c’était prévisible qu’à un moment donné SVB rencontrerait des difficultés parce que le secteur technologique rencontrerait des difficultés.

C’était aussi prévisible parce qu’on savait que l’augmentation des taux d’intérêt, décidée par les banques centrales pour lutter contre l’inflation, aurait un impact sur l’activité financière. Donc, on ne peut pas dire que ces deux facteurs qui sont à l’origine de la faillite de SVB étaient inconnus. Simplement on sait jamais réellement à quel moment cela va se déclencher.

TRT Francais